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la vie de ma voix intérieure
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la vie de ma voix intérieure
  • Certains humains sont plus doués que d’autres. Certains sont faits pour accomplir. D’autres pour détruire. D’autres pour sauver. Mais la plupart des humains ne sont pas faits pour quoi que ce soit. Thomas Vinau
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15 août 2022

Connemara

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Nicolas Mathieu

EAN : 9782330159702

400 pages

ACTES SUD (02/02/2022)



4ème de couverture :

Hélène a bientôt quarante ans. Elle est née dans une petite ville de l'Est de la France. Elle a fait de belles études, une carrière, deux filles et vit dans une maison d'architecte sur les hauteurs de Nancy. Elle a réalisé le programme des magazines et le rêve de son adolescence : se tirer, changer de milieu, réussir.

Et pourtant le sentiment de gâchis est là, les années ont passé, tout a déçu.

Christophe, lui, vient de dépasser la quarantaine. Il n'a jamais quitté ce bled où ils ont grandi avec Hélène. Il n'est plus si beau. Il a fait sa vie à petits pas, privilégiant les copains, la teuf, remettant au lendemain les grands efforts, les grandes décisions, l'âge des choix. Aujourd'hui, il vend de la bouffe pour chien, rêve de rejouer au hockey comme à seize ans, vit avec son père et son fils, une petite vie peinarde et indécise. On pourrait croire qu'il a tout raté.

Et pourtant il croit dur comme fer que tout est encore possible.

Connemara c'est cette histoire des comptes qu'on règle avec le passé et du travail aujourd'hui, entre PowerPoint et open space. C'est surtout le récit de ce tremblement au mitan de la vie, quand le décor est bien planté et que l'envie de tout refaire gronde en nous. Le récit d'un amour qui se cherche par-delà les distances dans un pays qui chante Sardou et va voter contre soi.

 

Extraits :

“ La colère venait dès le réveil. Il lui suffisait pour se mettre en rogne de penser à ce qui l'attendait, toutes ces tâches à accomplir, tout ce temps qui lui ferait défaut. “(incipit)

 

“ Elle avait parfois le sentiment que quelque chose lui avait été volé, qu’elle ne s’appartenait plus tout à fait. “

 

“ Il détestait ce genre de situations. Depuis toujours, il avait l’habitude d’arranger les gens. Dire non restait une épreuve. “

 

“ Le sentiment de gâchis, la lassitude et l’impossible marche arrière. Il fallait vivre pourtant, et espérer malgré le compte à rebours et les premiers cheveux blancs. Des jours meilleurs viendraient. On le lui avait promis. “

 

“ Pourtant, on s’aime dans cette maison, mais de cette manière maladroite et contrariée, où le manque de mots se compense par la profusion des dépenses. “

 

“ Les salariés, continuellement aux prises avec ces soudaines réinventions, ne sachant plus où ils se trouvaient ni ce qu’ils devaient faire au juste, restaient toute leur vie des incompétents chroniques bizutables à l’envi. “

 

“ C’est si peu de chose, une lueur dans l'œil. “

 

“ Difficile à dire. Le souvenir est capricieux. La légende l’emporte facile. “

 

“ L’adolescence est un assassinat prémédité de longue date et le cadavre de leur famille telle qu’elle fut gît déjà sur le bord du chemin. “

 

“ Mais la chose la mieux partagée restait encore cette rage sourde des délimitations. Car ici comme ailleurs, la liberté ne se concevait qu’enclose, d’où ces herses obligatoires, haies de thuyas, grilles de métal, rangées de bambous et palissades amoureusement lasurées. Chaque propriété, en fixant son périmètre, organisait un dehors et son dedans, des espaces entre lesquels la frontière n’était jamais tout à fait hermétique, mais qui autorisait l’assomption d’un règne, celui du chez-soi. “

 

“ Enfin, la voix de Sardou et ces paroles qui faisaient semblant de parler d’ailleurs, mais ici, chacun savait à quoi s’en tenir. Parce que la terre, les lacs, les rivières, ça n’était que des images, du folklore. Cette chanson n’avait rien à voir avec l’Irlande. Elle parlait d’autre chose, d’une épopée moyenne, la leur, et qui ne s’était pas produite dans la lande ou ce genre de conneries, mais là, dans les campagnes et les pavillons, à petits pas, dans la peine des jours invariables, à l’usine puis au bureau, désormais dans les entrepôts et les chaînes logistiques, les hôpitaux à torcher le cul des vieux, cette vie avec ses équilibres désespérants, des lundis à n’en plus finir et quelquefois la plage, baisser la tête et une augmentation quand ça voulait, quarante ans de boulot et plus, pour finir à biner un minuscule bout de jardin, regarder un cerisier en fleur au printemps, se savoir chez soi, et puis la grande qui passait le dimanche en Mégane, le siège bébé à l’arrière, un enfant qui rassure tout le monde : finalement, ça valait le coup. Tout ça, on le savait d’instinct, aux premières notes, parce qu’on l’avait entendue mille fois cette chanson, au transistor, dans la voiture, à la télé, grandiloquente et manifeste, qui vous prenait aux tripes et rendait fier. “

 

“ Au fond, les vieilles amours étaient comme ces tapisseries décaties aux murs des châteaux forts. Un fil dépassait, vous tiriez dessus par jeu, et tout se détricotait dans la foulée. En un rien de temps, il ne restait que la trame, les manies et les névroses à découvert, le rêve agonisant en ficelles sur la moquette. “

 

Mon avis :

Il y a tellement de choses à dire sur ce roman. En surface, bien sûr cette histoire d’amour entre Hélène qui a tout fait pour partir de cette petite ville médiocre et Christophe qui est resté, sans ambition que celle de vivre son histoire avec son premier amour. Entre eux cette chanson de Michel Sardou qui survit à toutes les générations, tous les mariages, toutes les fêtes. Celle qui, soi-disant, parle d’un lac. Mais cette histoire d’amour est glauque, c’est un résidu d’un désir d’adolescente. Leurs rencontres, leur intimité, rien n’est naturel et comme dans la vie professionnelle, c’est une représentation, une compétition. Elle est où la tendresse ? Pourtant pour eux c’est une bouffée d’air frais dans une vie compliquée. Hélène a fait un burn out et se rend compte que l’argent ne fait pas vraiment le bonheur et Christophe est séparé, apprend que son enfant va partir loin et son père chez qui il vit est atteint de cette maladie dont on parle tant : Alzheimer. Que du bonheur vous dis-je. Alors à travers ses deux personnages, on dissèque tous ces passages qui font une vie : l’enfance, l’adolescence, la honte de ses parents, les amis, les amours, les rencontres, les enfants, puis le travail, celui d’antan fatiguant et sain, et celui de maintenant avec ses ambiances délétères, ses injonctions contradictoires, ses bassesses entre collègues et ses histoires de cul, les collectivités territoriales qui font le jeu au milieu. C’est déjà beaucoup et le ressenti est bizarre car on a l’impression de lire sa vie en partie mais comme une bête monstrueuse et insidieuse le social-politique englue et recouvre tout, Le grignotage des acquis sociaux et des avantages année après année malgré les luttes de moins en moins présentes car la fatigue est là, le ras le bol et puis il faut lutter aussi contre l’extrême droite qui monte, monte, alors le gouvernement en place met les gens en face de leurs responsabilités et ils votent pour un Président qu’ils ne voulaient pas. Les lotissements avec ses propriétés bien délimitées où les gens sont persuadés d’avoir tous les droits au nom de la liberté.

Quand vous avez lu tout ça, vous êtes déjà dans un drôle d’état, essayant de reprendre votre respiration, essayant de vous retourner sur votre vie pour voir si c’est pareil, et là le coup final, la mise à mort : le mariage et sa fête. Le mariage parce que qu’il y a un enfant en route, sur un malentendu, sans réelle histoire d’amour bien sûr, la cérémonie à la mairie vite expédiée, la salle des fêtes éloignée en pleine campagne et déjà on cherche des responsables qui vont rester sobres pour raccompagner les fêtard, la bouffe en quantité et insipide, les jeux débiles, celui de la jarretière, les enfants sans surveillance, l’auteur nous a évité le tragique fait divers, l’alcool qui coule à flot, les rails de coke dans les sanitaires, la musique trop forte et la décadence, l’accident inévitable et la remise en question de cette histoire d’amour bouffée d'oxygène, résidu d’un désir d’adolescente.

La vie continue dans cette petite ville et les autres car il y a souvent une suite, des chemins tortueux, des évidences lumineuses ou une médiocrité persistante, des retrouvailles fortuites et non désirées où la première chose que l'on a envie de faire c'est fuir, au bout d'un rayon dans un magasin de bricolage et on se demande alors pourquoi ? 

Je suis sortie de cette lecture avec un drôle de ressenti, l’impression d’avoir passé un long moment dans la machine à laver sur le cycle essorage. Cela fait longtemps que je n’avais pas lu une telle fresque sociale. L'auteur, d'une écriture puissante, nous met en pleine face ce que nous ne voulons pas voir et c'est flamboyant.

 

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