"Le quai de Ouistreham"
De Florence Aubenas - Editions de l'Olivier
4ème de couverture :
La crise. On ne parlait que de ça, mais sans savoir réellement qu'en dire, ni comment en prendre la mesure. Tout donnait l'impression d'un monde en train de s'écrouler. Et pourtant, autour de nous, les choses semblaient toujours à leur place. J'ai décidé de partir dans une ville française où je n'ai aucune attache, pour chercher anonymement du travail… J'ai loué une chambre meublée.
Je ne suis revenue chez moi que deux fois, en coup de vent : j'avais trop à faire là-bas. J'ai conservé mon identité, mon nom, mes papiers, et je me suis inscrite au chômage avec un baccalauréat pour seul bagage. Je suis de venue blonde. Je n'ai plus quitté mes lunettes. Je n'ai touché aucune allocation. Il était convenu que je m'arrêterais le jour où ma recherche aboutirait, c'est-à-dire où je décrocherais un CDI. Ce livre raconte ma quête, qui a duré presque 6 mois, de février à juillet 2009.
J'ai gardé ma chambre meublée. J'y suis retournée cet hiver écrire ce livre.
Extraits :
« Entre collègues, on parle d’abattage, tout le monde renâcle à assurer le poste, mais les directives sont claires : « Vous n’êtes plus là pour faire du social, cette époque est finie. Il faut du chiffre. Apprenez à appeler client « le demandeur d’emploi. »
« Mon stage propreté commence demain matin. En m’y inscrivant l’autre jour, à pôle emploi, un conseiller m’a dit : « surtout, mettez des vêtements propres. Et pas de talons aiguilles, ni de minishort. »
… »La manifestation grossit toujours, mais sans colère, sans slogan réel, comme si sa seule revendication était sa propre masse. »
« L’heure de travail dure une seconde et une éternité. En signant les feuilles de présence, je distingue enfin les visages autour de moi. Il y a le monde entier sur le ferry, des belles, des moches, des semi-clochardes, des mères de famille, des petites paysannes, des créatures ou des tops model. »
« Autrement dit, nous avons à peu près une heure de déplacement et d’attente dans chaque sens. Comme seul le temps passé à bord est payé, on perd deux heures pour en gagner une. »
« Je suis disponible à toute heure, tous les jours, pour toutes les tâches, et il me semble utile de le répéter plusieurs fois, d’un ton déterminé. »
« Dans ces excursions là, elle aime toujours ce moment, au repas du soir, où on se demande entre soi : « Et vous, quelle était votre profession ? » Très fort Victoria fait claquer : « femme de ménage. » Elle prend son air filou. « Je sais que je les emmerde quand je dis ça. J’aime bien. »
« Un des ses fils, qui travaille lui aussi dans un hypermarché, vient de signer un contrat où il renonce aux 35 heures et à sa prime de transport. »
… »Il n’a pas trente ans. Il court partout. Il ne dit à personne combien il gagne. Il a peur. »
« La jardinerie, c’est l’endroit idéal pour se changer les idées : on voit plein de gens, on peut acheter des trucs. C’est gai. El plus le magasin est ouvert le dimanche. »
« Assises à leur bureau, deux personnes boivent distraitement du café dans un gobelet. Elles me semblent appartenir à un autre univers que le mien, d’une manière différente, vaporeuse et lointaine, hors de portée. »
« Je regarde le ciel, d’un gris uniforme. Je n’ai plus aucune idée de l’heure qu’il est. »
« Vous avez des droits, mais aussi des devoirs. Vous pouvez être radié, chantonne le petit film. »
« Plus on nous fait travailler, plus on se sent de la merde. Plus on se sent de la merde, plus on se laisse écraser. »
« Discuter est une activité à laquelle il est nécessaire d’être convié et il ne suffit pas d’être là pour avoir l’autorisation de poser des questions, de donner son avis ou d’acquiescer bruyamment. Même quand on ne comprend rien, il faut attendre, se raccrocher à quelques mots, se laisser porter au fil des phrases. »
« Il nous regarde. Il y en a tellement vu, des « comme nous », les tremblantes, les résignées, les travailleuses, les impatientes, les condamnées, les ambitieuses, toute cette humanité suspendue à lui et qui espère un signe. »
« Je sais que je viens de claquer toutes les portes derrière moi. »
Mon avis
Il y a quelques années profitant des livres étudiés par ma fille, j’ai eu l’occasion de lire « L’Amérique pauvre » de Barbara Ehrenreich, journaliste qui faisant un pari avec un ami va partir chercher du travail sans qualification, en conservant seulement sa voiture et mille dollars (il me semble, bien que maintenant la somme me parait importante…), Depuis j’attendais qu’un journaliste ou sociologue se lance dans le même genre d’aventure en France. Mon souhait a été exaucé ! Ce livre arrive au bon moment dans ma vie puisque je suis inscrite à pôle emploi depuis deux mois…. J’ai retrouvé dans ce constat navrant et pourtant réaliste l’ambiance de pôle emploi, une sorte d’agressivité latente dès qu’on pousse la porte de cet endroit. La pensée positive est arrivée jusqu’à nous, sauvons nous help !!!! Ou comment faire passer des consignes et des ordres sans que ceux-ci soit discutés ou refusés, excellent ! J’ai beaucoup ri en lisant ce témoignage, me retrouvant dans certaines situations. Les loisirs évoqués sont malheureusement pragmatiques en ces temps de précarité et je le constate dans ma région : la sortie du week-end est aussi la grande surface où on passe beaucoup de temps à discuter, à faire des rencontres etc…La solidarité, les astuces pour acheter de quoi manger, l’amitié, les bagarres, tout y est. Florence Aubenas s’est parfaitement « coulée » dans la peau du personnage s’est contentée de témoigner et son livre est une réussite. A lire absolument surtout si vous êtes « demandeur d’emploi », il ne faut plus dire chômeur, la pensée positive n’oubliez pas !